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devoirs
18 février 2009

dissert médée

PAOLANTONACCI
MARION

HK

DISSERTATION CULTURE ANTIQUE:
Médée, Sénèque

La représentation de l'étrange et de l'étranger dans Médée




























		Depuis le IIeme siècle avant notre ère, la littérature grecque et latine nous a livré différentes versions du mythe de Médée, mythe poignant de par le fait qu'il est l'expression violente de passions surhumaines, et mythe qui suscite également une profonde fascination face au destin d'une femme hors-du-commun. 
En relation intertextuelle avec les œuvres d'Ennius, d'Ovide, ou bien d'Euripide, Sénèque tente de se détacher, en faisant de Médée une figure unique du théâtre tragique, mais surtout une image porteuse de référents philosophiques desquels il fut l'adepte.
Médée la magicienne, fille du Soleil, délaissée par Jason en faveur de Créuse, meurtrière de ses deux enfants, bafouée et exilée par l'irrévocable parole de Créon, nous laisse penser qu'un tel personnage intrigue par ce que l'on pourrait définir son étrangeté. En effet, Médée est par essence une figure fuyante, toujours autre, étrangère à autrui comme à elle même. 
	Comment s'opère cette représentation de l'étrange et de l'étrangeté dans la pièce de Sénèque ?
Tout d'abord, l'étrange et l'étrangeté ne reposent-ils pas sur un double dispositif d'effroi et de fascination ?
Enfin, ces deux notions ne correspondent-elles pas également aux realiae de l'époque de Sénèque ?


		Médée est une femme étrangère au monde grec, au monde dit « civilisé ». Comme nous l'avons précisé plus haut, elle dispose d'une intensité telle qu'elle permet à un double effet d'opérer sur son public: l'effroi face à ses passions démesurées et à ses pouvoirs obscurs, et la fascination provoquée par cette même démesure qui lui rend malgré tout une certaine grandeur, par ces débordements de haine et de désir de vengeance, enfin par le sort tragique et injuste qu'elle subit: son exil, sa répudiation, la trahison de Jason.
		Étrange et étrangère elle est, à cause de ses attributs de magicienne, confortés tout d'abord par ses origines qui font d'elle la femme orientale, la sorcière aux pouvoirs magiques capables de détruire; par son langage également, qui mêle incantations obscures et invocations de dieux méconnus qui rappellent le monde étrange et opaque dans lequel elle se meut, la réduisant ainsi au statut de « Barbare », celle qui balbutie des paroles inintelligibles; enfin, par le dispositif dont elle use : le chair ailé qui l'emporte loin de Corinthe, ou encore les présents magiques qui consumeront Créuse et ses enfants...
Ces trois éléments d'étrangeté fonctionnent à travers ce double dispositif d'effroi et de fascination. C'est ce que nous verrons en premier lieu. 
	Le personnage de Médée reprend le mythe des Argonautes, l'une des quatre légendes dont s'inspirent poètes et dramaturges antiques dans la conception de leurs œuvres: ainsi, neuf destragédies de Sénèque renvoient chacune à une légende. La légende du cycle argien est illustrée par  Thyeste et Agamemnon,la légende du cycle troyen renvoie aux Troyennes, la légende du cycle thébain est illustrée dans Œdipe et les Phéniciennes, celle d'Hercule se retrouve dans Hercule furieux et Hercule sur l'Oeta, enfin, la légende de Thésée  se retrouve dans Phèdre.
La mère de Médée, selon une tradition de Diodore de Sicile, aurait été Hécate, déesse de la nuit, patronne des sorcières. Ainsi, cette « Barbare », cette non-Grecque (la Colchide est située à l'extrémité orientale de la Mer Noire sur les cartes des Athéniens). Elle est donc une princesse dotée de pouvoirs extraordinaires du fait de sa brillante ascendance: elle est magicienne, comme sa tante Circé. Ses origines-mêmes font d'elle une sorcière aux yeux des Grecs. En effet: les chants du chœur  développent devéritables odes consacrées aux Argonautes, donnant au drame une dimension cosmique. Si nous prenons par exemple la deuxième intervention du chœur : «Personne ne possédait encore la science des astres et n'avait eu recours aux étoiles dont est constellé l'éther, le navire ne pouvait pas encore éviter les Hyades pluvieux ni les feux de la Chèvre d'Olène, ni le Chariot arctique que suit et dirige avec lenteur le Bouvier, en raison de son âge, et Borée et Zéphyr n'avaient pas encore reçu leurs noms» En faisant mention des constellations, le support dramatique prend une substance semi-mythologique et cosmique. 
	Médée  est donc la femme venue d'ailleurs, de très loin, la Barbare dont les premiers mots de la pièce rappellent les origines. 
Etrangère et donc étrange: Médée l'orientale, vue par les Grecs civilisés de Corinthe. Elle fait peur au roi lui même qui n'hésite d'ailleurs pas à le reconnaître dès le début de la grande scène qui l'oppose à la Colchidienne : «Qui cette femme épargnera-t-elle, qui laissera-t-elle ne courir aucun danger? Moi-même je me préparais sans plus tarder à anéantir par le glaive ce fléau si redoutable [...] Qu'elle ne fasse plus peser l'angoisse sur mon territoire et qu'elle parte en sécurité. [...] Ecartez-la, serviteurs, qu'elle ne me touche ni ne m'aborde. » Il est clair que son caractère d'étrangère et surtout de sorcière suscite chez les Corinthiens et chez le roi-même la plus grande peur et la plus grande méfiance.
		Sur le plan formel, nous retrouvons ce même aspect d'étrangeté. En effet, il n'y a qu'à lire à travers le déploiement de ses tirades et de ses monologues les nombreuses incantations et invocations mystérieuses. La  fréquence des invocations et prières adressées aux divinités infernales, les longs monologues fiévreux empreints de théonymes et d'épiclèses (noms et attributs divins) contribue à la création d'une atmosphère magique : « Dieu du mariage, toi, Lucine,... toi qui enseignas à Tiphys l'art de maîtriser la nef fabuleuse qui devait dompter les flots, toi qui règnes en maître impitoyable sur les profondeurs marines, toi, Titan, qui distribues pour le monde la clarté du jour, toi, triple Hécate [...], vous, dieux pris à témoins par Jason comme garants de sa foi envers moi, et vous, divinités plus justement invoquées par Médée dans ses prières, Chaos de la nuit éternelle,... Mânes impies, Souverain de l'empire des ombres... » Ici, Médée en tant que magicienne invoque les divinités infernales, le royaume des morts, les Enfers, les Mânes, et surtout Hadès, dieu des Enfers. 
Ce langage foisonnant de noms parfois méconnus peut faire penser au langage incompréhensible du Barbare, celui qui ne parle pas le Grec, celui qu'on ne comprend pas. Le Barbare est doublement étrange: étrange parce qu'étranger, il n'appartient pas au monde hellénise géographiquement parlant; étrange également parce qu'il ne possède ni les mêmes mœurs ni le même langage que les Grecs. Médée portera jusqu'à la fin de la pièce le fardeau de ses origines : on condamne l'étranger sans avoir cherché à le connaître, et c'est ainsi qu'elle est traitée dès le début. Elle est d'emblée représentée par le biais d'une altérité qui épouvante et fascine d'autant plus.
		Médée, nous l'avons dit, est une magicienne. Nombreux sont les objets qui lui seront utiles afin de prouver la puissance de ses pouvoirs et d'aboutir à son dessein: la vengeance. 
	En cela Médée est effrayante: elle dispose d'une supériorité qui la rend imprenable par les mains des hommes.
Sa fuite symbolique sur le char enchanté en sera l'ultime preuve: elle représente l'impuissance des hommes à la soumettre à leurs jugements. Cette notion de fuite, le caractère fuyant de l'héroïne est présent tout au long de la pièce. Au début du troisième mouvement, la Nourrice demande : «Mon enfant, où te précipites-tu d'un pas si rapide, hors de chez toi? Arrête, modère ta colère, freine ton élan [...] Médée va et vient en un mouvement frénétique... », ou encore au début de la quatrième et dernière intervention du chœur : « Où se précipite la sanglante Ménade... ». La pièce se clôt d'ailleurs sur une invitation de Jason envers Médée, invitation à partir et à parcourir le monde, comme s'il était devenu irréversible le fait que Médée soit insaisissable : «Parcours les hautes régions éthérées du ciel, porte témoignage que, là où tu passes, il n'y a point de dieux. »
             La sorcellerie devient effrayante car menaçante lorsque Médée prépare la mort de sa rivale. Au début du quatrième mouvement, la Nourrice annonce déjà le danger prémédité par la sorcière: «Un sentiment d'épouvante et d'horreur envahit mon âme: une menace redoutable pèse sur nous. Spectacle effrayant, la rancœur de Médée s'exacerbe »; mais c'est surtout le rituel funeste mis en place par Médée qui effraie le plus : «tout ce qu'elle-même a depuis longtemps redouté, elle le met en oeuvre et donne libre cours à toute la troupe de ses maléfices, fléaux gardés secrets, inconnus; et, implorant le sinistre autel avec la main gauche, elle appelle tous les fléaux (...) Attirée par ses incantations magique, la foule des serpents écailleux est là. » . C'est ensuite Médée elle-même, dans une tirade invocatrice, qui nous offre les détails de ses pratiques maléfiques en insistant sur le fait que c'est sa condition (comprendre sa race) qui lui permet de pouvoir mener un tel dessein à son terme: « Pour toi, comme le veut la coutume de ma race, chevelure dénouée et pieds nus, j'ai parcouru les forets solitaires (...). J'ai interverti le cours des saisons » Ici, Médée a le contrôle sur la Nature même. « Fais pénétrer la force de tes aiguillons dans ces poisons, Hécate, et maintiens dissimulées dans les présents que j'offre les semences de flammes » Ici, l'arme de meurtre est donnée. 
			Nous avons vu en quoi Médée apparaît comme une héroïne menaçante et effrayante pour le monde grec: d'une part, elle est la fille d'une magicienne et vient d'une contrée lointaine, bien au-delà du Pont-Euxin; ensuite, elle use d'un langage hermétique qui rappelle le « barbaros »; enfin, par ses rites, ses objets ensorcelés, et ses pouvoirs magiques qui serviront au meurtre de Créuse, de Créon et de ses enfants. Toutefois, nous pouvons affirmer que Médée fascine autant qu'elle fait peur. Cette fascination tient dans l'extraordinaire psychologie de son personnage, auquel Sénèque apporte toute une intensité et une exacerbation qui font l'une des originalités de la pièce.
	L'analyse psychologique de Médée est fascinante dans le sens qu'elle respecte les conventions théâtrales du genre tragique de l'époque, tout en y introduisant une densité nouvelle.
              Nous étudierons d'abord le thème de la furor. Dans la tragédie latine, le héros, sous l'impulsion d'une rancœur, d'un ressentiment profond (dolor), entre au fil de la pièce dans un état de démence (furor), et commet un crime contre les lois morales et religieuses (scelus nefas)
Nous pouvons dire que la douleur, la dolor de Médée est surhumaine, démesurée.  C'est ce qu'exprime le choeur au cours de sa quatrième intervention: « Médée ne sait contenir aucun accès, ni de rage ni d'amour. », « Une ardente rougeur se répand sur ses joues, puis la pâleur chasse cette rougeur, son aspect change sans cesse... Elle s'élance d'un côté puis de l'autre, comme une tigresse privée de ses petits parcourt d'un pas furieux les forêts du Gange », la comparaison féline traduit ici la violence qui habite Médée.  D'autres comparaisons plus fortes sont effectuées lors de la troisième intervention du chœur : « Ni la violence d'un feu ravageur, ni la fureur du vent, ni un trait lancé avec force, dans leur menace, ne sont comparables à une épouse répudiée qui brûle de haine », en comparant la colère de Médée aux dangers engendrés par les éléments de la nature -le feu, le vent-, Médée dépasse bien ici son statut de simple humaine.
	C'est cette furor surhumaine qui la poussera à commettre son quadruple meurtre. Ce meurtre révèle bien la perte totale de raison dont est victime Médée. En plus d'assassiner sa rivale, elle égorge, sous les yeux de Jason, les fils qu'elle a eus de lui. L'atrocité de ce geste la ramène à son étrangeté dans le sens qu'il n'y a qu'un étranger ignorant de la vertu grecque pour être capable d'un tel acte. Aspects même symboliques du mythe: la magicienne, la sorcière, elle est par essence la Barbare, donc la seule à pouvoir commettre les atrocités que lui reproche Jason. Médée justifie néanmoins son crime en mentionnant la rage: « ô, ma rage, là où tu me conduis. »
	Nous devons effectivement nous pencher attentivement sur les paroles de Médée, sur le vocabulaire emprunté et le lexique utilisé, tous deux révélateurs de cette passion surhumaine et extrême qui la traverse et à laquelle elle ne met un terme qu'en accomplissant le quadruple meurtre. 
Sur le plan textuel, la colère est partout présente: « Cherche une nouvelle matière, ma rancœur », « Où te portes-tu donc, ma rage, et quels traits lances-tu contre ton perfide ennemi? ». Le désespoir participe du tragique de la pièce, il en est d'autant plus fascinant car même en position tragique et extrêmement désespérée, Médée va jusqu'au bout de son dessein: « Mon seul repos est de voir l'univers s'abimer avec moi: que tout disparaisse avec moi! Il est doux de tout entraîner dans sa perte ». L'idée de vengeance est en effet récurrente dans les répliques de l'héroïne: « jamais ma fureur ne renoncera à poursuivre sa vengeance, toujours elle ira s'exacerbant. ». Le vocabulaire de la mort et du funeste rappelle en quoi Médée est terrifiante : « Prépare l'ultime bûcher destiné à tes enfants, Jason, et élève leur tombeau ».
		Fascinante et terrifiante. Telle est l'idée que nous avons développée ici, et qui explique l'étrangeté de l'héroïne. A travers ce double dispositif d'effroi et de fascination, Médée n'en ressort que plus étrange, plus différent des hommes que jamais. Étrange de par ses origines, étrange de par ses dons de sorcière, étrange de par son langage, étrange parce qu'elle est surhumaine, dotée de passions qui dépassent le commun des mortels, étrange parce qu'elle accomplit un quadruple assassinat.
Nous pouvons toutefois nous demander si ces raisons peuvent à elles seules expliquer une réception de la pièce orientée dans une optique qui positionnerait Médée en étrangère. Il est évident que les critères d'étrange et d'étrangeté, s'ils sont perçus ici à travers les éléments que nous avons développés, c'est aussi parce que la société grecque est conditionnée dans son cadre de vie, ses cadres de pensée et qu'elle a ses référents philosophiques, historiques et littéraires.  C'est ce que nous étudierons dans le deuxième temps de notre devoir.



			L'étrange et l'étrangeté de Médée dépendent des realia de l'époque à laquelle écrit Sénèque. En effet, pour considérer tel élément ou tel aspect d'un personnage comme appartenant à l'étrange, il faut pouvoir se reporter aux composantes du monde réel, sans quoi l'essai de comparaison s'avèrerait impossible.
Les realia peuvent se décliner en deux mouvements: tout d'abord, les realia qui concernent le patrimoine culturel grec, à savoir les préjugés du monde grec par rapport à l'étranger, le statut de la femme en société, et enfin le but de la tragédie; ensuite, nous pouvons nous centrer sur les références propres à Sénèque, les connaissances monopolisées dans la composition de son œuvre: nous citerons l'histoire, la philosophie et la géographie.
	Les préjugés concernant l'étranger dans le monde grec sont très ancrés dans les mentalités. A l'époque classique, dans la cité d'Athènes, les métèques étaient contraints de payer un impôt en raison de leur statut d'étranger. Ils n'avaient pas le droit de participer à certaines cérémonies religieuses et ne pouvaient participer à la vie politique, étant impossible pour eux de s'octroyer le statut de citoyen. On se méfiait des étrangers parce qu'on craignait que leurs intérêts soient contraires au bien de la cité. Sénèque était sans aucun doute atteint par ces idées. Aussi, l'étranger était souvent considéré comme le non-civilisé, le barbare, celui qui ne parle pas le grec et qui ignore les mœurs et coutumes grecques. 
Si nous revenions à Médée, nous pourrions affirmer que le débat sur l'étranger est présent dans la pièce.  Médée est une étrangère parce qu'elle est Colchidienne, tout autour d'elle se déploie alors le fantasme du monde hellénistique en rapport avec l'Orient. Le mythe des Argonautes même renvoie à ce débat: si nous tentions d'en donner une interprétation, nous pourrions affirmer qu'il renvoie à une confrontation du monde civilisé face au monde du Barbare. Il y a effectivement conflit entre deux mondes: le monde des hommes, celui de la civilisation et de l'ordre  , et le monde la barbarie. Les argonautes représenteraient l'effort de la civilisation des Grecs vers l'Orient,  dans le sens où leur mythe semble reprendre précédemment les étapes de l'exploitation du monde des grecs. Le débat du monde civilisé face au monde de l'étranger, qui fait peur par sa différence, est donc au cœur-même de la pièce grâce mythe des Argonautes.
	Un autre point important est à souligner: Médée est aussi étrangère en tant que femme. En effet, la réflexion sur la nature féminine occupe une grande place dans la pièce. Dans l'Antiquité, les femmes, soumises à la volonté des hommes, essentielles uniquement pour ce qui concernait les rites religieux et l'entretien domestique, n'avaient pas même la chance d'espérer pouvoir accéder à la citoyenneté ni à l'éducation. 
En ce sens, nous pouvons dire que Médée se fait le  porte-parole des femmes grecques. Elle se lamente sur l'injustice du sort que leur réservent les hommes aussi bien que la nature : « j'aimerais mieux lutter trois fois sous le bouclier qu'accoucher une seule », conclut-elle. 
La femme reste incomprise et méprisée par l'homme : Jason considère comme sans importance le fait qu'il l'ait quittée pour aller voir une autre femme, alors que Médée le vit comme une ignominie : « De ce conseil que tu me donnes, le bénéfice va à Créuse; tu élimines une rivale qui lui est odieuse », ce à quoi Jason répond simplement : « Médée me reproche mes amours? ». Une solidarité féminine établie entre Médée et la Nourrice est également remarquable, ce qui justifierait le fait que Médée se place comme le porte-parole de la souffrance féminine. 
Pour aller jusqu'au bout de notre analyse, nous pourrions dire que la femme pourrait bien être une sorcière par nature. Ainsi Médée ne représenterait que l'essence féminine portée à son comble, puisqu'effectivement elle agit en pensant défendre ses intérêts, et en écoutant son cœur. Elle apparaît donc comme une étrangère en tant que femme.
	Le dernier aspect des realia de l'époque concerne les objectifs fixés par la tragédie grecque.
La tragédie grecque est de loin l'un des genres les plus rigoureux d'un point de vue formel. Respect des règles de bienséance qui interdisent la violence ou l'indécence sur scène, règle des trois unités qui fixe pour toute tragédie une action en un lieu et une journée,  enfin la visée catharsisante et moralisante. En faisant en sorte que le destinataire soit épris de pitié et d'effroi envers le héros, la tragédie espère purifier son esprit. L'effet double d'effroi et de pitié envers Médée permet alors aux grecs de l'Antiquité une réflexion sur les passions de l'âme et la fatalité. Toutefois, il est important d'instaurer une distance entre le héros qui est mis en scène en plein débat contre son destin sur lequel il n'a aucune prise, et le spectateur ou lecteur de la pièce. Les personnages de tragédie sont souvent des rois, des nobles, des grands princes.
La distance effectuée dans la pièce de Sénèque est justement l'étrangeté de Médée. En rappelant que Médée est une sorcière, qu'elle est donc surhumaine, la distanciation est d'emblée instaurée. 
	Toutefois, Médée est parsemée d'autres référents auxquels nous n'avons pas encore fait allusion, et qui participent largement à l'établissement d'une étrangeté au sein de la pièce. Il s'agit des connaissances recueillies et usées par son auteur. Les thèmes philosophiques qui ont le plus retenu l'attention de Sénèque se retrouvent dans ses tragédies: l'immortalité de l'âme, la nature, l'amour, la méditation sur le destin et sur la nature du pouvoir politique.
Rappelons que dans la lettre 108 à Lucilius, Sénèque explique la vocation morale du théâtre. Il semblerait alors que son théâtre repose sur une rhétorique de l'érudition. 
	Sur le plan philosophique, Sénèque est un stoïcien affirmé et avéré. Or, pour un philosophe stoïcien comme Sénèque, le monde se compose de deux éléments actifs: l'air et le feu, et de deux éléments passifs:l'eau et la terre. Médée est habitée par le feu, la passion de l'orgueil; les allusions à l'image du feu et du vent comme entités actives et déchainées sont fréquentes dans la pièce: « ni une mer soulevée par la tempête, ni la violence des feux attisés par les vents ne pourraient arrêter le déchainement de ma colère: je renverserai tout, je briserai tout ». De plus, c'est par le feu que Médée commettra le crime de Créuse.  Enfin, n'oublions pas de préciser qu'elle est fille du Soleil, la plus évidente des images métaphoriques du feu. 
Rajoutons que comme le théâtre a une vocation morale, Sénèque, en tant que stoïcien, manifeste à travers le personnage aliéné par la passion et dépossédé de lui-même qu'est Médée un désir moralisateur dont le mot d'ordre est : « changeons nos désirs au lieu de vouloir changer le monde ».
	Enfin, un dernier domaine opère afin de conférer à Médée toute son étrangeté et tout son étrange. Il s'agit de la géographie.
Il est aisé de trouver des descriptions de lieux dans Médée: dès la première intervention du chœur, celui-ci se lance dans une longue description de cet ordre: « La jeune princesse surpasse de loin en beauté les jeunes femmes du pays de Cécrops, celles que, sur les hauteurs du Taygète,... et celles qui se baignent dans l'onde aonienne et dans les eaux sacrées de l'Alphée... »
Il semblerait que Sénèque soit fécond en détails et en descriptions géographiques. Or, les paysages décrits sont parfois lointains, choisis pour leur étrangeté. Ou bien, nous sommes face à de véritables énumérations qui n'ont pas grand intérêt. 
D'après HARDER, ces notions géographiques comporteraient un certain nombre d'erreurs et de confusions, les plus graves:  par exemple, entre l'Ancaeus de Samos et celui de l'Arcadie. 
Finalement, Sénèque abuse de descriptions géographiques, il traite ses thèmes avec beaucoup de liberté. Cela participe à l'étrangeté de la pièce dans le sens que les lieux cités n'ont parfois strictement aucun rapport avec la réalité, ou alors paraissent tellement lointains que même les contemporains de Sénèque ne doivent en avoir qu'une brève et vague idée.
		Nous avons donc vu en quoi l'étrangeté de Médée était encouragée par les realia de l'époque. D'une part, cette étrangeté correspond à un monde structuré et posé en exemple qu'est le monde hellénistique; d'autre part, ce sont les connaissances et le savoir de Sénèque qui permettent un établissement de cette étrangeté.


		Médée reste donc incontestablement une pièce qui a su marquer par la psychologie de son héroïne au fond de laquelle s'affrontent des forces et des passions dignes du genre tragique antique. Étrangère aux grecs, étrangère à elle-même, fuyant son malheur en croyant fuir Corinthe, elle est l'autre, que le grec méconnait et sur lequel il s'est souvent mépris. 
Il paraît donc évident, après notre travail, que le personnage de Médée soit resté immortel à travers les siècles et soit à l'origine d'œuvres postérieures, et qu'elle soit l'icône-même de la mère assassinant ses propres enfants. L'intérêt porté à Médée apparaît universel dans sa continuité et sa constance. Tel que l'exprime Alain MOREAU : «Médée est une figure monstrueuse pour laquelle il n'existe plus de normes, plus de lois, ni à l'échelle des hommes, ni à l'échelle du cosmos. Le ça a brisé les barrières du moi et du surmoi, le Chaos déferle sur le Cosmos ». Avec cette image, nous pouvons nous demander si ce n'est pas là une dernière déviance de notre vision occidentale de l'étranger: l'étranger serait alors le monstre, l'innommable, celui qu'on ne peut décrire tant il dépasse et transgresse les schémas normatifs. 



















Bibliographie :
  • Sénèque, par Pierre AUBENQUE et Jean-Marie ANDRE, édition Seghers
    
  • Le Théâtre de Sénèque, L.HERRMANN, édition Les Belles Lettres, coll « Etudes Anciennes »
    
  • Médée, SENEQUE, édition GF Flammarion
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